Open Food Facts aujourd’hui et demain : pourquoi le catalogue numérique des aliments doit rester citoyen et indépendant de l’industrie

Open Food Facts aujourd’hui et demain : pourquoi le catalogue numérique des aliments doit rester citoyen et indépendant de l’industrie

L’ANIA, le lobby de l’industrie alimentaire, a annoncé son projet Num-Alim pour créer « la 1ère plateforme numérique de données ouvertes, fiables et exhaustives sur les produits alimentaires ». Il existe déjà une base de données libre et ouverte sur les produits alimentaires : Open Food Facts, un projet citoyen lancé en 2012 qui référence 700 000 produits et dont les données – vraiment ouvertes – ont permis la création de plus de 100 autres services et applications (comme Yuka, Foodvisor et Scanup) et la réalisation d’études scientifiques pour faire avancer la recherche et améliorer la santé publique.

Open Food Facts, le catalogue numérique des aliments fait par tous et pour tous

Outre le fait que l’ANIA vend le pot de pâté d’ours avant de l’avoir tué (NumAlim ne sera pas disponible avant le 2ème trimestre 2020), cette tentative pour contrôler le recueil, la diffusion et l’utilisation des informations sur les produits alimentaires ne sera bonne ni pour l’intérêt général, ni pour l’industrie. C’est une question d’ouverture :

1. L’ouverture à tous les producteurs et à tous les types de produits

Il est important que tous les producteurs, qu’ils soient petits ou grands, industriels ou artisans, puissent référencer gratuitement et facilement leurs produits, qu’ils aient un code-barres ou non, et quelque soit leur mode de production et de distribution. Il faut permettre l’expérimentation et le développement de modes de production et de distribution novateurs qui feront partie de la transition écologique. Le référencement des produits ne doit pas être conditionné à l’adhésion à un organisme comme GS1 ou à la souscription à un service payant d’un partenaire technique.

Sur Open Food Facts, tous les types de produits sont autorisés, y compris sans code-barres (comme c’est par exemple le cas d’une très grande partie des bouteilles de vin vendues chez les cavistes, mais aussi des produits artisanaux fabriqués en petite série ou vendus directement). En plus de la collecte collaborative de données qui permet à chacun de contribuer à la base, une centaine de producteurs de toutes tailles ont créé gratuitement leur compte sur Open Food Facts pour ajouter leurs produits, et de plus en plus de producteurs et distributeurs comme Fleury Michon, les Magasins U, Casino et Carrefour nous envoient directement et automatiquement les données de leurs produits pour qu’elles soient intégrées en temps réel et de manière exhaustive sur Open Food Facts.

2. L’ouverture à tous les types de données pour promouvoir les pratiques vertueuses

À l’inverse de la démarche classique d’élaboration d’un standard qui consiste à définir quels types de données sont collectés et quelles valeurs sont autorisées, qui limite de facto les données à un petit dénominateur commun, Open Food Facts adopte un modèle de données ouvert qui permet l’inclusion de tout type de données, y compris toutes celles que nous n’avons pas prévues. Chaque producteur peut par exemple ajouter dans la base Open Food Facts tout type d’information sur l’origine, l’élaboration, la transformation, le conditionnement etc. de ses produits. Ces nouvelles informations sont alors disponibles instantanément.

C’est ainsi que sont présentes sur Open Food Facts plus de 5 000 informations différentes sur les ingrédients (origine, additifs, allergènes etc.), la nutrition, le mode de culture (bio, traitements), d’élevage (alimentation sans OGM, sans antibiotique etc.), de pêche (label MSC, zone de pêche),  le conditionnement (forme, matière et recyclabilité de l’emballage, présence d’un sur-emballage), l’impact écologique (indice carbone, lieux de transformation), l’impact social (commerce équitable) etc.

Bien sûr ces informations ne sont pas encore disponibles pour tous les produits, mais nous les rendons immédiatement disponibles pour les produits pour lesquels les producteurs fournissent ces informations, afin de permettre le développement de nouveaux usages, et de créer un effet d’entraînement pour encourager les pratiques vertueuses. C’est ce que l’on est en train d’observer par exemple pour le Nutri-Score : malgré l’opposition farouche que mène l’ANIA depuis 4 ans contre le Nutri-Score qui permet aux consommateurs de comparer la qualité nutritionnelle des produits alimentaires, de plus en plus de producteurs engagés dans des démarches de transparence et d’amélioration décident d’apposer le logo Nutri-Score directement sur la face avant de leurs produits.

3. L’ouverture réelle des données pour tous et pour tous usages

Nous avons présenté plusieurs fois à l’ANIA Open Food Facts et le concept de données ouvertes que l’ANIA continue malheureusement d’utiliser à tort dans sa présentation de Num-Alim comme une « plateforme numérique de données ouvertes ».

Rappelons donc encore une fois que les données ouvertes (open data en anglais) ont une définition bien précise : elles doivent être diffusées selon « une licence ouverte garantissant son libre accès et sa réutilisation par tous, sans restriction technique, juridique ou financière ». S’il faut adhérer à GS1, payer une cotisation ou une redevance, utiliser nécessairement une API, et/ou accepter des conditions d’utilisations qui limitent les usages et la redistribution des données, alors ce ne sont pas des données ouvertes, c’est une base privée qui fournit un service privé comme le fait par exemple Google avec Google Maps, sans garantie sur l’évolution des conditions d’accès à ce service (Google a ainsi récemment rendu payant de nombreuses réutilisations de Google Maps qui étaient précédemment gratuites).

Nous pensons que les données sur les produits alimentaires sont d’intérêt public, et qu’elles doivent être publiques. C’est pour cela que les données de la base Open Food Facts sont ouvertes et diffusées selon la licence Open Database Licence (ODbL) qui garantit un accès complet, gratuit, irrévocable, par tous et pour tous usage. L’ensemble de la base peut être téléchargé gratuitement, sans inscription ou identification, et sans qu’il soit nécessaire de passer par une API.

C’est parce que nos données sont vraiment ouvertes qu’elles sont réutilisées par plus de 100 applications (et il ne s’agit que de celles que nous avons remarquées car les réutilisateurs ne sont pas identifiés ou tenus de nous prévenir). Ces données ont permis la création de startups comme Yuka, Foodvisor, Scanup et bien d’autres qui touchent des millions de consommateurs, mais leur diffusion ont aussi permis de multiples autres usages non commerciaux ou touchant un plus faible nombre de personnes, comme par exemple les applications anti-gaspillage Date Limite et No Maggot, ou l’application Verydiab pour les diabétiques.

L’ouverture réelle des données permet également leur utilisation par les scientifiques du monde entier. La base Open Food Facts est ainsi citée dans plus de 150 articles scientifiques. Le libre accès aux données permet de rendre la recherche plus transparente, plus collaborative et plus efficace.

4. L’ouverture au monde

Les défis liés à l’alimentation sont mondiaux, un projet franco-français tel que Num-Alim imaginé par l’ANIA n’a pas de sens : chaque pays devrait faire sa propre base, et la multiplication des contraintes techniques, juridiques et financières empêcherait la mise en commun de toutes ces bases privées.

Qu’on le veuille ou non, l’industrie alimentaire est aujourd’hui largement mondialisée, avec pour conséquence de multiples dérives et de nombreux défis à relever à l’échelle de la planète. Mais la diffusion des bonnes pratiques et l’entraînement de l’industrie vers le haut peuvent être mondiaux eux aussi. Le Nutri-Score est un bon exemple : il a été proposé en France par l’équipe du Professeur Hercberg et adopté dans la loi Santé en 2016. Les ministères de la santé belges et espagnols l’ont depuis adopté et on peut maintenant voir des produits avec le logo Nutri-Score en Belgique.

C’est pour cela que même si Open Food Facts est né en France, dès l’origine, nous avons créé une base mondiale de produits alimentaires, traduite de façon collaborative dans des dizaines de langues, dans laquelle des contributeurs du monde entier ont déjà commencé à ajouter des produits de quasiment tous les pays.

Le nombre de produits pour chaque pays est encore très variable, mais il est en constante augmentation et toute l’infrastructure est déjà en place. Toutes les réutilisations, applications, études scientifiques etc. peuvent ainsi être facilement étendues à l’échelle de la planète.

5. L’ouverture d’esprits

L’ouverture finalement, c’est l’ouverture d’esprits, au pluriel, car il ne s’agit pas de prétendre d’avoir pensé à tous les usages possibles et d’avoir prévu une solution qui permet tous ces usages, mais au contraire de se dire qu’on n’entrevoit qu’une toute petite partie de ces usages, et que ce sont d’autres esprits que le nôtre qui vont imaginer une multitude d’usages certainement bien différents que ceux qu’on a prévus. Suivant son point de vue personnel, on verra tel ou tel potentiel dans les données. Les porteurs du projet Num-Alim imaginent ainsi « une app qui vous enverra un mail pendant que vous faites la queue à la caisse, pour lister les recettes (saines) que vous pourrez réaliser avec votre caddie, et combien de temps vous pourrez tenir sans avoir à retourner au supermarché. Elle pourra également vous suggérer tel ou tel aliment supplémentaire à acheter pour réaliser plus de repas avec votre caddie. » Un consommateur pourrait à l’inverse se dire qu’il n’a pas du tout envie d’être spammé par une app qui l’incite à acheter plus, mais au contraire qu’il serait bien utile d’avoir une application pour gérer le contenu de son frigo et de ses placards pour être prévenu que le lot en promotion qu’on s’apprête à mettre dans son caddie a de fortes chances de se périmer compte tenu des réserves qu’on possède déjà.

Pour regagner la confiance, construire un bien commun plutôt qu’une base privée

Derrière cette annonce du projet Num-Alim, il est facile de voir la réaction de l’industrie alimentaire à la popularité croissante de la base et de l’application Open Food Facts et des autres applications nutritionnelles qui ont été rendues possibles grâce à l’ouverture réelle de notre base. Mais il est évident que vouloir contrôler l’information pour retrouver la confiance des consommateurs est une réaction contre-productive qui ne pourra qu’engendrer plus de défiance. Ce dont a réellement besoin l’industrie alimentaire, c’est de plus de transparence, pas d’une mainmise sur les données.

Si l’ANIA veut véritablement œuvrer pour l’information des consommateurs, pour retrouver leur confiance et pour encourager le développement des pratiques vertueuses, alors nous l’invitons plutôt à encourager les producteurs à apporter directement les données et photos de leurs produits à Open Food Facts. C’est non seulement gratuit pour producteurs, mais cela fera économiser 6,2 millions d’euros aux porteurs du projet (dont 3,1 millions d’euros d’argent public).

Participez à un projet citoyen pour améliorer l’alimentation de toutes et tous !

Si comme nous vous pensez qu’il est important de continuer à créer une base vraiment ouverte de produits alimentaires, indépendante de l’industrie, gratuite et disponible pour tous et pour tous usages, vous pouvez nous aider :

1. En installant l’application Open Food Facts Android ou iPhone et en ajoutant des produits, et en nous rejoignant sur le groupe Facebook des contributeurs et notre espace de discussion et de collaboration Slack.

2. En faisant un don à l’association à but non lucratif Open Food Facts. Nous n’avons pas besoin de 6,2 millions d’euros mais vos dons nous permettront de commencer à mettre en place une petite équipe permanente pour appuyer le travail des dizaines de milliers de bénévoles qui construisent et alimentent la base. A noter : Open Food Facts est une association d’intérêt général et les dons sont déductibles à 66 % de vos impôts, donner 50 euros ne coûte ainsi que 17 euros.

Comme vous pouvez le voir dans notre feuille de route 2019, on ne manque pas d’idées et de choses à faire pour multiplier encore l’impact du projet Open Food Facts ! Votre soutien est donc essentiel.

Merci d’avance à toutes les personnes qui pourront soutenir notre action !


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